Exécuteur testamentaire de Frederic Engels, l’histoire Eduard Bernstein a toujours été liée à celle de Karl Kautsky.
Né en 1850 à Berlin dans une famille juive de tradition libérale, Bernstein se rapproche de la social-démocratie dès 1870. Il entre au comité directeur du parti en 1875 avant de s’exiler en Suisse trois ans plus tard quand Bismarck décide de le dissoudre. Son amitié avec Kautsky et sa rencontre à Londres avec Engels et Marx l’éloignent de Dühring et de son positivisme libéral.
Quand en 1881 le parti allemand renaît sous la direction d’August Bebel, Bernstein devient depuis Zurich le responsable du Sozial-demokrat, l’hebdomadaire du SPD. Habité par les thèses marxistes, Bernstein prêche l’effondrement prochain du capitalisme, l’optimisme prolétarien et la lutte des classes et développe à l’encontre des députés socialistes des arguments qui lui seront retournés par les orthodoxes en réaction à son révisionnisme.
En 1888, la rédaction du Sozial-demokrat est expulsée de Suisse et Bernstein rejoint la société hébergée à Londres par Engels. Il est vite troublé par l’expérience socialiste du Royaume-Uni : d’un côté, Bernard Shaw et ses camarades lui semblent trop modérés, de l’autre l’intégration des syndicats et les conquêtes sociales l’impressionnent.
L’accélération des réformes sociales en Allemagne et le retour politique du SPD qui en plus de disposer d’élus développe coopératives et syndicats, font craindre à Bernstein une répression des classes réactionnaires prenant pour prétexte une montée révolutionnaire et faisant s’éloigner la perspective du modèle anglais.
Il faut toutefois attendre un an après la mort d’Engels pour que Bernstein en 1896 entame la publication d’une série d’articles sur les « problèmes du socialisme » et annonce ainsi son révisionnisme.
Depuis Londres, il entre en opposition avec son parti et affronte idéologiquement Rosa Luxemburg et Karl Kautsky. La querelle du révisionnisme marquera depuis lors tous les congrès du SPD. Alors qu’un centre orthodoxe animé par Kautsky et Bebel s’emploie à dénoncer le révisionnisme de Bernstein, Rosa Luxemburg construit une opposition interne de gauche encore plus violente à l’égard de l’exilé.
En 1902, Bernstein - rentré en Allemagne depuis un an - est élu député. Malgré ses divergences, il demeure fidèle à son parti et doit faire face à de pseudo disciples (y compris de droite) prompts à travestir ses analyses pour justifier le social-impérialisme.
La modération croissante du centre du SPD le ravit même s’il craint le manque de réactivité de la direction face aux menaces réactionnaires. Après que le parti eut voté les crédits de guerre, il quitte le SPD en 1915 et retrouve paradoxalement Kautsky, Liebknecht et Luxemburg dans un parti social-démocrate indépendant pacifiste.
Toutefois, l’arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates en 1918 lui offre un poste de sous-secrétaire d’Etat aux finances et l’occasion de rompre avec ses amis « indépendants » rassemblés dans la Ligue de Spartakus et fondateurs du KPD. Bernstein fustige Liebknecht estimant que l’imposition du modèle bolcheviste ne peut qu’ « apporter la contre révolution ». Il s’attriste également « qu’une personne possédant les dons intellectuels et la formation scientifique de Rosa Luxemburg ait pu participer à la rédaction » du programme de Spartakus qu’il considère comme un « méchant libelle, aussi confus que démagogique et provocant ».
La répression que mène le SPD face à la Commune de Berlin ne le choque pas outre mesure si l’on excepte le « lâche et brutal assassinat » de Liebknecht et Luxemburg. Il n’a de cesse par la suite de dénoncer - sans grand écho - le danger du militarisme allemand qui se confondra finalement avec le nazisme. Il s’éteindra en 1932 six semaines avant l’accession de Hitler à la Chancellerie.