Témoignage de Sylvie dr publié à 10H37 le 02/11/2007 sur Rue89.com
Madame la Ministre,
Vous trouverez ci-joint mon chèque de 50 euros pour la franchise médicale de 2008 que vous venez de faire voter. Vous avez raison, il faut responsabiliser les malades comme moi, qui consomment beaucoup de médicaments, de soins et de transports sanitaires. Moi par exemple, avec mes deux cancers, un dans chaque sein, je suis le trou de la Sécu à moi toute seule, je pèse lourd à la collectivité. Et puis 50 euros, qu’est-ce que c’est... A peine le prix d’une paire de chaussures chez André, (pas chez Nike), pour ma fille de 17 ans. Et puis, avec mes 50 % de revenus en indemnités journalières durant mes six chimiothérapies et mes sept semaines de rayons, avec mes mille euros par mois de revenus de remplacement (encore le trou de la Sécu), 50 euros, ce n’est rien. Ou alors juste cinq mois de redevance d’une télévision publique pleine de publicités que je regarde à peine. Ou un petit plein de frigo malbouffe chez Lidl, pour tenir disons, trois jours à deux personnes devant la dite télé taxée. 50 euros chez moi c’est ça.
Et puis dans la foulée, comme j’ai perdu mon CDD grâce à mes cancers, et que j’ai ré-intégré péniblement les chiffres des Assedic ce mois-ci, je verrai bien une petite franchise Unedic aussi, pour me responsabiliser sur le fait d’être chômeuse à 50 ans. Parce qu’en plus d’être pauvre et malade, je suis chômeuse, et vieille. Je viens d’avoir 50 ans. Sur le marché du travail, c’est trop vieux, sur celui de la retraite c’est bien trop jeune... alors taxez-moi entre deux eaux. En plus, vous savez quoi ? On a découvert mes cancers alors que j’en avais 49, donc jeune, ce n’était pas prévu dans le protocole de dépistage qui ne commence qu’à 50 ans. Alors j’ai payé ma mammographie qui sauve des vies -enfin la mienne- de ma poche : 110 euros.
Heureusement, après un an de traitement, et au lendemain de mon 50e anniversaire, la Sécu qui fait bien son boulot m’a adressé une gentille lettre timbrée à 0,53€ pour que j’aille me faire dépister gratuitement (dans un bus Sécu sur un parking). J’étais chauve, brûlée, fauchée, malade, mais la Sécu se préoccupait de me dépister sans me faire bourse délier. Elle est bien cette Sécu. Efficace et qui ne manque pas d’humour.
Au fait, j’ai consommé tellement de médicaments prescrits par des experts au cours des dix derniers mois qu’il m’en restait deux sacs pleins que je viens de rendre au pharmacien du coin. Pharmacien qui je crois se porte économiquement très bien, lui. Tout comme les laboratoires pharmaceutiques qui l’alimentent et délivrent les boîtes en format industriel, boîtes pleines, neuves, rendues au pharmacien prospère. Mais eux font tourner l’économie, alors que moi, simple malade, je ne suis qu’une plaie sociale, responsabilisez-moi.
Notez : j’ai toutefois gardé les tranquillisants au cas où je devrais faire de l’auto-euthanasie, sur le dos de la sécu. Donc, Madame, prenez mes 50 euros de malade sur-consommant et donnez-les à la cause Alzheimer. Moi j’ai l’impression que je n’aurai pas le temps d’y aller, sur cette maladie-là, parce que j’ai déjà toutes les autres tares sociales et sanitaires, alors pensez, comment pourrais-je tenir jusque l’Alzheimer ? Mais je crois au collectif, à la solidarité. Alors soit, que mes 50 euros de rente annuelle de votre franchise médicale servent la cause commune. C’est comme ça que j’entends la politique et la solidarité, bien sûr.
Non c’est vrai, vous avez raison, culpabiliser et responsabiliser les malades, les pauvres, les chômeurs, c’est vraiment une bonne idée. On gêne et on coûte : de vrais parasites. D’un point de vue idéologique, sociologique, politique, intellectuel même, c’est mieux une société de riches jeunes, bien portants et actifs qu’une société de pauvres, malades et vieux, inutiles. Votre stratégie relève donc des meilleurs objectifs possibles pour le meilleur des mondes. Nul doute.
Sanitairement et solidairement votre,
Post Scriptum. J’ai adoré sur votre site du Ministère cette campagne d’octobre : "J’ai un cancer du sein, et après ?" Après, c’est 50 euros quand même, par an, dites-leur, aux femmes. En toute franchise.