Un article d'un camarade se prêtant bien à ton intérrogation.
Les néoréacs, ces vieux cons
Ainsi la revoilà, cette vieille rengaine nostalgique et fiévreuse, maudissant le nouveau monde et scandant le rappel à l’ordre, reprenant à son compte le choc des civilisations pour mieux attiser la guerre des générations. Ainsi la revoilà, la réaction.
Qu’elle revienne accrochée aux basques du ministre de l’Intérieur ne saurait nous surprendre. Tout chez Nicolas Sarkozy plaide pour une vision du monde étriquée et rétrograde. Reprenant à son compte la modernité libérale, l’homme n’hésite pas à s’appuyer sur la mécanique des peurs pour imposer sa marque et ses politiques. Dans cette logique, les jeunes ne sont perçus que comme des nouveaux barbares, « qui n’ont plus rien à voir avec ceux d’il y a quarante ans. Aujourd’hui il y a des mineurs qui, à 14 ou 15 ans ont déjà violé braqué, brûlé et qui sont forts comme des hommes ». Oubliés « les apaches » et autres « blousons noirs » qui se livraient à leur époque au pire vandalisme. La jeunesse d’aujourd’hui serait singulièrement différente. Et voilà pourquoi, le ministre de l’Intérieur prépare une nouvelle législation incluant l’enfermement en milieu pénitentiaire dès le plus jeune âge. Un discours démagogique, mais efficace.
Mais dans le camp de la réaction, Nicolas Sarkozy n’est pas tout seul. Porté par l’air du temps, le nouvel ordre moral gagne jour près jour de nouveaux partisans qui s’emploient à contaminer de leurs idées les questions d’actualité. Tout y passe ou presque. Des méthodes d’enseignement à l’école à l’appréciation de l’histoire coloniale, du respect des valeurs à la diversité culturelle ; la sentence est identique : notre république est décadente. Il faudrait, dès lors, en terminer avec la « repentance permanente », l’idéologie soixante-huitarde, les droits acquis et la conquête de nouvelles libertés. L’heure est au retour à une république fantasmée dont personne n’ose nous donner les contours mais dont les ennemis, eux, sont déjà désignés.
Reprenant à leur compte la posture du réprimé, ces nouveaux réacs, puisqu’il faut les nommer, en viennent à dénoncer le terrorisme qu’exercerait sur eux, la pensée unique d’une gauche bien-pensante. « Depuis les années 2002/2003, tout intellectuel lucide et courageux est fusillé comme « nouveau réac » par de nouveaux exécuteurs au nom des figures du Bien, « victimes » transfigurées par un pseudo-antiracisme réduit à une rhétorique hyper-morale, destinée à intimider et à faire taire », se plaint ainsi le chercheur Pierre-André Taguieff. Et de surenchérir « les lobbies associatifs font régner la terreur judiciaire dans l’espace public, où les universitaires et les chercheurs sont surveillés, menacés et diffamés ». On dirait du Sarkozy dans le texte...
Pourtant et quoi qu’en pensent Alain Finkielkraut ou Hélène Carrère d’Encausse, l’idéologie réactionnaire n’a rien de tabou ni de minoritaire. Déjà portées en permanence par de grands médias, ce sont ces idées qui guident l’action du gouvernement Villepin/Sarko lorsque celui-ci s’attaquent aux étrangers, aux jeunes, aux précaires et aux "décadents". En chevauchant à leur tour le populisme, ces intellectuels ne se sont donc pas marginalisés. Bien au contraire, ils sont devenus les hérauts d’un bon sens populaire qui, s’il leur interdit peut-être d’écrire dans Libé, leur permet certainement de chroniquer dans France Soir. Car la France vire réac. Et pas qu’à droite.
Au sein même de la gauche, des voix de plus en plus nombreuses portent un discours empreint de nostalgie, d’ordre et de traditions. Les valeurs idéalisées de la famille et du travail reviennent au goût du jour comme si elles avaient été, un jour, désertées. Et dopé par le récent référendum sur le traité constitutionnel européen, le nationalisme retrouve même une nouvelle jeunesse. Mais en choisissant d’identifier de nouvelles classes dangereuses, de dévoyer l’idéal républicain et de subordonner tout problème social à la question identitaire, les nouveaux réacs jouent une partition dramatique qui profite à ceux qui, de l’autre côté, agitent des velléités communautaristes. Pour les uns comme pour les autres, l’histoire est interprétée non comme une marche du progrès mais plutôt comme une inévitable régression. Les prophètes ont changé : Samuel Huntington a remplacé Fukuyama. Le déclin de l’histoire succède ainsi à sa fin annoncée.
Ces deux camps se répondant l’un à l’autre ne laissent que bien peu de place à une gauche républicaine, réformiste et solidaire. Les vieux cons n’ayant pas d’âge, les temps sont durs pour les progressistes. Mais il n’empêche, c’est encore cette gauche, notre gauche, qui détient les clés d’une société apaisée et plus juste. C’est cette gauche qu’il nous faut mettre en mouvement, pour lui permettre -à défaut de « terroriser les nouveaux réacs » - de redevenir culturellement majoritaire. Comment ? En menant la bataille des idées sur tous les grands débats, en refusant les amalgames faciles et le jeu des postures. Et pour y arriver, le travail ne nous manque pas.