Vive l’impôt, voilà un titre opérant un contre-pied parfait aux tentatives les plus médiocres tentant de décrédibiliser le principal outil de redistribution des richesses.
Cet essai de l’économiste Liêm Hoang-Ngoc fredonne la douce musique d’une veritable profession de foi. La réinvention d’un impôt citoyen, universel et progressif constitue l’axe principal de cet ouvrage. L’auteur y voit l’instrument par excellence de correction des inégalités issues de la répartition primaire des revenus entre capital et travail.
"Deux siècles après la restauration de 1815, les conquêtes de la Révolution française sont menacées. Le parti de la droite bonapartiste est en train de solder son passé gaulliste (...) pour assumer un virage néo conservateur en épousant au grand jour les thèses néolibérales anglo-saxonnes", analyse le chercheur de l'université de Paris-I, initiateur en 1996 de l'Appel des économistes pour sortir de la pensée unique.
La première partie de cet essai présente de nombreuses références historiques et éclairages internationaux, et propose de "déconstruire" les nouvelles vulgates libérales, "prétendument modernes". Le professeur d’économie revient également sur le "procès politique de l'impôt" intenté par les économistes monétaristes et ultralibéraux et développe une analyse du "retour en grâce" des théoriciens de l'offre, ceux-là même qui proposaient à Ronald Reagan, il y a vingt-cinq ans, de supprimer l'impôt sur les sociétés et d'appliquer le principe d'une flat tax, c'est-à-dire d'un taux d'imposition unique sur les revenus.
La France a bien entendu pris position dans ces débats. Keynésienne en 1974, thatchérienne pendant la première cohabitation (1986-1988) et sociale-libérale pendant la seconde (1993-1995), la droite française aurait fait, pendant le quinquennat de Jacques Chirac (2002-2007), son coming out néo conservateur, n'ayant de cesse d'écorner le principe de la progressivité de l'impôt sur le revenu. Et ce, rappelle justement Liêm Hoang-Ngoc, alors même que "le système français était déjà faiblement redistributif".
L'impôt "n'est pas l'ennemi de l'économie. Il a même accompagné l'âge d'or de la croissance au cours des "trente glorieuses"", soutient l'économiste, citant à l'appui de sa démonstration les travaux de Thomas Piketty. Selon l'auteur de Hauts Revenus en France au XXe siècle (Grasset, 2001), le passage dans notre pays d'un capitalisme familial de rentiers, peu dynamique, à un capitalisme de cadres, managérial et entreprenant, n'aurait pu se produire sans la montée en puissance de l'impôt progressif (sur le revenu et sur les successions). D'où cette idée que sa remise en cause menace non seulement l'égalité mais aussi l'efficacité.
Plutôt que de prendre le risque de reconstituer "une société de rentiers", l’auteur propose donc de réinventer un impôt citoyen à partir de la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu. Cet impôt universel sur le revenu serait prélevé à la source, avec 10 tranches d'imposition (contre 5 aujourd'hui, 7 avant la réforme de la droite). Un abattement forfaitaire de 2 000 euros serait appliqué aux ménages les plus modestes, ce qui permettrait d'augmenter le pouvoir d'achat et de supprimer la prime pour l'emploi.
Créée par le gouvernement Jospin, la PPE est critiquée par une partie des socialistes qui y voient, entre autres, un élément de blocage des bas salaires. Liêm Hoang-Ngoc ne s'arrête pas là : il défend l'idée d'une CSG entreprises, assise sur l'ensemble de la valeur ajoutée, d'un impôt local sur le revenu, d'un élargissement de l'assiette de l'ISF et, à rebours de l'UMP, d'une augmentation des droits de succession. Autant de pistes que les socialistes auraient intérêt à explorer.
Un regret tout de même, le chercheur ne consacre qu’une faible partie de son analyse à la concurrence fiscale européenne. Pourtant l’impôt européen est d’une importance cruciale –d’ailleurs le défunt traité constitutionnel était trop muet sur la question – la majorité qualifiée devrait permettre le développement d’outil de redistribution à l’échelle continentale, sans oublier la nécessaire harmonisation fiscale et sociale des pays membres.