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 Sarko par BHL

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S.Maisonneuve

S.Maisonneuve


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Sarko par BHL Empty
MessageSujet: Sarko par BHL   Sarko par BHL EmptyLun 23 Juil - 17:17

La tribune de Bernard-Henri Lévy
NOUVELOBS.COM


Voici la traduction française de la tribune publiée, dimanche 22 juillet, par Bernard-Henri Lévy, dans le supplément littéraire du New York Times, où il explique ce qu'il pense de Nicolas Sarkozy.

"Un Bonaparte new look"

C'est vraiment une spécialité française. Je ne connais pas d'homme ou de femme politique français de haut rang qui n'a jamais considéré au moins une fois que l'écriture et la publication d'un livre aux ambitions idéologiques et souvent même littéraires était un rite de passage essentiel pour sa carrière politique.

Est-ce le prestige, plus profond en France que partout ailleurs, accompagnant la création d'un livre, un vrai livre et pas simplement une tribune politique ?

Est-ce le lien entre le sabre et la plume, entre la politique et la littérature, qui ont été particulièrement proches depuis les Encyclopédistes et la Révolution française ?

Serait-ce à cause d'écrivains qui, comme Chateaubriand, rêvaient de faire partie du gouvernement ? Ou ceux qui, comme Malraux, voulaient être reconnus pour leur usage des armes, autant que pour les livres qu'ils écrivaient ? Ou serait-ce au contraire le syndrome Stendhal, se lamentant sur la bataille de Waterloo, qui l'avait empêché pour quelques jours d'être nommé préfet du Mans.

De Richelieu, qui voulait être dramaturge, à de Gaulle qui était fasciné par Malraux; de Clemenceau, notre Premier ministre pendant la Première Guerre mondiale, qui écrivit un opéra ("Le Voile du bonheur"), à François Mitterrand, que j'ai personnellement entendu dire plusieurs fois que rien n'était plus enviable dans ce monde qu'être l'auteur de "La Chartreuse de Parme", la France est ce pays bizarre où les écrivains sont souvent des hommes d'action ratés, et où les hommes d'action sont toujours des écrivains ratés. Les présidents français n'attendent pas d'être en exercice pour narrer et justifier leurs hauts faits, ils écrivent leurs mémoires avant d'arriver au pouvoir. Et donc, Nicolas Sarkozy, quoique, semble-t-il, le moins littéraire de tous, a, comme les autres avant lui, publié les siennes.

J'imagine que l'intention du livre, à l'origine -plutôt ces deux livres réunis en un seul pour la publication en anglais- était de dessiner sa vision de la France et de son avenir avant d'entrer dans la bataille. Mais maintenant que notre Sarko, notre Bonaparte nouveau look, a gagné l'élection et a accédé à l'Elysée, le livre a un sens quelque peu différent qu'à l'origine et peut être lu comme un autoportrait en direct, précis et précieux.

Dans "Témoignage", nous découvrons le premier président de la République qui ose écrire sur l'amour, l'amour authentique, quand il revient sur la tumultueuse relation qu'il a eue avec Cécilia Sarkozy, la femme qui l'a quitté, qu'il a reconquise, qui a fini par revenir auprès de lui, et qui est maintenant notre Première dame à la manière d'une Jacky Kennedy. Oui, un président qui nous parle des tourments et des joies de l'amour, de la femme de sa vie, du désir et de la souffrance. Est-il possible que cette passion fut plus importante, à la fin, pour lui, que sa passion pour le pouvoir ?

Nous découvrons un jeune homme, apparemment heureux, dont la bonne humeur semble faire partie de son agenda politique. Beaucoup de choses ont été dites sur son escapade à Malte, après l'élection, sur l'ostentatoire yacht du milliardaire français Vincent Bolloré, certains allant jusqu'à penser que c'était sa première erreur politique. Et si c'était le contraire? Et si ce geste faisait partie de son projet de nous déculpabiliser à propos du luxe, du succès et de l'argent, au risque d'aller trop loin dans le mauvais goût et le kitsch ? Et si ce jeune président voulait réconcilier la France, si ce n'est avec le bonheur réel, du moins avec les signes du bonheur que notre puritanisme, notre dépression et notre peur de l'éclat et du succès ont discrédité et supprimé depuis longtemps ?

Nous découvrons un personnage qui veut parler de tout, clairement et sans tabou, sans censure et sans gêne. Sarkozy écrit à propos de ses vies, publique et privée, sur des sujets nobles et moins nobles, exprimant ses doutes comme ses certitudes, lançant des insultes et des répliques, donnant des jugements secs et tranchés sur ses adversaires comme sur ses partenaires. Il ne nous épargne rien de ce qui traverse son esprit. J'ai personnellement observé chez lui cet étrange trait de caractère –à savoir qu'il ressent le besoin de formuler toutes les idées qui lui traversent la tête. Sarkozy est la seule personne que je connaisse qui soit un sujet sartrien parfait– le prototype de ce qu'est la subjectivité, décrite dans "L'Etre et le Néant", qui dessine sa force et même sa liberté, partant du principe qu'elle n'a pas d'âme propre, rien en réserve; comme si c'était un endroit vide, une simple zone de transit dans laquelle les impressions, les informations et les émotions tournoient sans s'arrêter ou se connecter.

Et finalement nous découvrons –comme les Américains vont le découvrir- le premier de nos présidents pour qui notre relation au reste du monde est clairement inspirée par les meilleurs résultats des mouvements antitotalitaires des années 70 et 80, à savoir la fidélité à Israël qui ne dépendra plus désormais des "hauts et des bas de nos intérêts dans le monde arabe"; une sensibilité au génocide, et à l'Holocauste en particulier, "cette tâche sur le 20e siècle et sur toute l'histoire de l'humanité"; un refus du "relativisme culturel" qui nous autoriserait à regarder le drame tchétchène, ou le destin de prisonniers politiques chinois, différemment des événements européens; une réelle volonté de ce que les droits de l'homme soient respectés dans les relations entre Etats, entre les démocraties et les dictatures; et enfin, et non des moindres, sa vision de l'Amérique, pour laquelle, au début de sa préface, il déclare, sans ambigüité, son admiration sincère, si ce n'est son amour, contrastant nettement avec l'antiaméricanisme acharné qui, depuis des décennies, est une thématique de la plupart de la classe politique française.

Donc à la lumière de tout ça, pourquoi n'ai-je pas voté pour lui ? Et pourquoi durant toute la campagne, contrairement à la plupart de ceux qui m'ont accompagné dans les combats idéologiques des trente dernières années, à la différence de la plupart de mes amis issus du mouvement gauchiste anticommuniste né dans les années 70, je me suis battu contre cet homme qui semble si sympathique ?

Je l'exprimerai ailleurs, d'une façon différente, le moment venu. Je dirai, par exemple, comment telle ou telle remarque sur l'identité nationale et comment elle doit être préservée m'a éloigné de lui. Je dirai peut-être plus précisément que pour être un Français du 21e siècle il faut faire des choix sur certains événements majeurs et déterminants, comme Vichy, le colonialisme, ou Mai 68. Et je regarderai les positions qu'il a prises sur ces trois questions et conclurai que, quand il a dit que Vichy n'avait pas fait partie intégrante du génocide, quand il a clamé haut et fort que la France ne devrait pas être embarrassée par son travail 'civilisateur' en Algérie et quand il a promis que s'il était élu il "liquiderait l'héritage de Mai 68", qui, depuis 40 ans, est une blessure secrète, un tourment, parfois le cauchemar de l'aile droite la plus radicale et réactionnaire de ce pays, Nicolas Sarkozy s'est coupé d'hommes comme moi. Les composants essentiels étaient néanmoins déjà exposés dans le livre de Sarkozy, que je reconnais n'avoir pas lu attentivement quand il est sorti en France. Je découvre maintenant que le logiciel était déjà, pourrions-nous dire, préinstallé.

Il y a les pages sur la repentance, par exemple. Ou plus exactement, les pages sur son amour pour la France, qui devrait "être fière de son passé", et que nous devrions aimer complètement, sans nuance, loin d'un possible "dénigrement" que le possible futur président voyait comme une sorte de maladie. Je n'ai personnellement rien contre un peu de dénigrement. Franchement, je n'ai rien contre l'idée que des hommes politiques et des citoyens parlent de tristesse, de pitié, et même de l'horreur qu'ils ressentent quand ils se retournent sur les pages les plus noires de leur histoire nationale. En d'autres mots, je crois que la honte est assez utile en politique, et que l'idée de ne pas se sentir, comme disait Emmanuel Levinas, "comptable de" ou même "otage" des crimes que nous n'avons pas commis, pire encore, de ne pas se sentir comptable et responsable de ceux dans lequel nous avons eu un rôle –je crois que c'est exactement ce que Sartre (encore lui !) nommait une politique de "salauds". Où seraient les Etats-Unis s'ils n'avaient pas honte de leur passé d'esclavagistes et donc de racistes ? Où serait la France si – sous le prétexte que, comme le dit Sarkozy, nous n'avons pas produit Hitler (vrai), Staline (moins clair, étant donné combien l'intelligentsia française a participé à la création de la vulgate stalinienne), ou Pol Pot (plutôt douteux, étant donné que Pol Pot et ses hommes se sont tous instruits dans le berceau des Droits de l'Homme)- simplement, nous chantions ensemble le sinistre refrain "fier d'être Français" que le nouveau président ne cesse de fredonner, revenant à faire l'impasse sur l'antisémitisme colossal de l'époque Dreyfus, sur l'énorme enthousiasme collaborationniste des élites culturelles et administratives pendant les années les plus sombres de Vichy, ou sur la pratique étatique de la torture dans les dernières années de la guerre d'Algérie ?

Il y a aussi plusieurs pages sur la crise généralisée des banlieues parisiennes à l'automne 2005, quand Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, a failli mettre le feu au pays et du même coup à sa carrière politique. Il nous rappelle (avec raison) les exacts circonstances entourant sa tristement célèbre déclaration (en théorie, seulement à propos des jeunes émeutiers d'Argenteuil) –"Oui madame, c'est pour ça que je suis là. Je vais vous débarrasser de cette racaille"- largement responsable de sa diabolisation dans certains pans de l'opinion publique. Il explique aussi, et là, il convainc, combien les idées de "racisme", et de "xénophobie" sont intolérables pour lui, fils d'immigrés, et qu'il croit aussi à une France plurielle, riche de sa diversité. Mais ensuite, il se trompe, trahissant le conservateur définitif qu'il est vraiment, quand il voit dans les mini émeutes de 2005, un éclatement de violence idiote et nihiliste, méritant une sévère intervention policière, où seul le conformisme intellectuel le plus naïf, de ce qu'il appelle la "pensée unique", y voit encore l'ombre d'une protestation sociale. Je ne suis pas un sarkozyste parce que j'y ai vu, en fait, les prémisses d'une révolte sociale, sans doute terrible, brutale et sauvage. Un mouvement qui, pour la première fois dans ce genre de mouvement, semblait muet, aphasique, brulant des écoles et des cliniques, comme de vrais barbares ou de vrais idiots (bien que l'on ne sache pas vraiment si la colère des Communards qui brulèrent la bibliothèque des Tuileries était plus sensée que ces jeunes sans-emploi qui mirent le feu à leurs écoles maternelles ou aux voitures de leurs pères). Mais c'était un mouvement social néanmoins. Un mouvement auquel on aurait dû appliquer, auquel nous devrons toujours appliquer, un traitement qui ne soit pas seulement pénal mais aussi social.

Et finalement, il y a le pragmatisme de Sarkozy, que nous devrions peut-être appeler opportunisme et cynisme, que nous avons pu observer dans les jours qui suivirent la victoire, quand il était comme un enfant placé au milieu d'Hammacher Slammer ou de Toys 'R' Us à qui l'on dirait : "Tout ce qui est ici est à toi. Prends ce que tu veux!" Ce qu'il a fait à tous les étages du magasin, attrapant les meilleurs produits, l'emblématique Bernard Kouchner, le sage Hubert Védrine, les preux chevaliers du saint graal mitterrandien qu'il mentionne dans le livre, en disant combien il les admirait quand il était jeune ministre. Les totems de la gauche à qui il lance des bouts de viandes pour le simple plaisir de les voir se battre. Les légendes de la littérature et des arts dont il engloutirait joyeusement le mythe ou la vérité .Qui est le saint patron des socialistes ? Léon Blum ? "Ok, apportez-moi Léon Blum!" Le Christ des communistes ? Guy Môquet ? "Très bien, apportez-moi…certainement pas Guy Môquet" –un résistant de 17 ans tués par les nazis- "mais sa dernière lettre adressée à ses parents, si belle, si émouvante." Et la reine des victimes d'aujourd'hui ? Qui porte la couronne des martyrs de la souffrance contemporaine ? Ingrid Betancourt, vous dîtes ? "Bon, agissons, ramenons la famille Betancourt réunie à l'Elysée!"

Je ne peux pas dire que cela n'aura pas de bons résultats. Ni d'ailleurs que, en raison de son appétit, Nicolas Sarkozy n'a pas de bonnes surprises en magasin pour nous, comme ordonner –comme il le fit lors de son discours inaugural- qu'au début de chaque année scolaire la dernière lettre de Guy Môquet soit lue dans les écoles de France. Je n'écarte pas la possibilité que sa volonté et sa détermination pourraient permettre la libération d'Ingrid Betancourt, retenue en otage par les FARC depuis plus de cinq ans en Colombie. Je suis même prêt à admettre qu'il est capable de faire céder les Chinois sur la terrible situation au Darfour où, comme tout le monde sait, ils tiennent les rênes du régime assassins de Khartoum.

Je dis juste qu'il y a chez Sarkozy une relation à la mémoire qui me trouble et m'inquiète. Habituellement, les hommes ont de la mémoire. Elle peut être complexe, contradictoire, paradoxale, confuse. Mais c'est la leur. Cela a beaucoup à voir avec qui ils sont et l'identité qu'ils se sont choisie. Sarkozy est un pirate de l'identité, un mercenaire de la mémoire des autres. Il se réclame de toutes les mémoires, signifiant qu'à la fin il n'en aurait aucune. Il est le premier de nos présidents voulant écouter toutes les idées, parce qu'elles sont pour lui littéralement indifférenciables. S'il y a un homme, aujourd'hui, en France, qui incarne (ou prétend incarner) la fameuse fin de toutes les idéologies, à laquelle je ne peux croire, c'est en effet Nicolas Sarkozy, le sixième président de la Ve République.

Il y a un sentiment étrange à avoir un président dont tant de choses (sa politique étrangère, son style, sa générosité) vous rassemble et dont tant d'autres (sa vision de la France, sa mémoire gloutonne, son cynisme) vous divise profondément. Tel sera mon lot pour les cinq ou dix prochaines années. Finalement pourquoi pas ? C'est bien."

Bernard-Henri Lévy
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