Interview de Jean Marc Ayrault au monde:
Après le conseil national du PS du samedi 23 juin, avez-vous été tenté de retirer votre candidature à la présidence du groupe ?
J'ai beaucoup hésité mais j'ai senti que, dans la période qui va précéder le congrès, à l'automne 2008, il y avait des risques de tension inutiles. J'ai eu peur, un moment, que la tentation de la division l'emporte mais je me suis dit que l'on pouvait préserver le groupe de cette tension. Le résultat du premier tour de scrutin exprime cette attente des députés. J'ai été largement élu avec le mandat suivant : la cohésion, l'opposition et, en même temps, la proposition et la rénovation.
Vous avez exercé ce mandat depuis dix ans. Comment entendez-vous mettre en oeuvre cette rénovation ?
J'entends la mettre en pratique concrètement en constituant une équipe de quinze vice-présidents. J'ai proposé à Arnaud Montebourg de devenir premier vice-président, chargé de la prospective. Ce sera pour lui l'occasion de faire ses preuves dans le cadre d'un travail collectif. Le financement de l'assurance-maladie, le contrat de travail, on va se mettre au travail tout de suite. Il faut que l'on soit prêts en termes de contre-propositions, que l'on redevienne une opposition intelligible. Ces vice-présidents et vice-présidentes, puisque le principe de la parité sera respecté, seront responsables des textes qui vont venir dans les commissions et, en même temps, vont suivre chacun un domaine ministériel. Ils seront amenés, non seulement, à réagir sur les projets de loi mais à suivre l'actualité gouvernementale dans son ensemble.
C'est le groupe des députés qui, en quelque sorte, va devenir le laboratoire de l'opposition ?
Effectivement, c'est une façon de s'organiser totalement différente. On va surveiller l'exécutif. On va exercer notre rôle de contrôle parlementaire. Quand des choses seront utiles, on le dira. Ce n'est pas parce que cela vient du gouvernement que tout sera forcément mauvais. Nous ne serons pas une opposition pavlovienne. Si le revenu de solidarité active, par exemple, correspond à ce que nous avions proposé, je ne vois pas pourquoi on irait contre.
C'est dans cet esprit que nous avons accepté de présider la commission des finances et que le choix de Didier Migaud s'est imposé. Il a une grande expérience, il est le coauteur de la LOLF, c'est un modernisateur, il a toujours été plus que réglo, très loyal et constructif. C'est quelqu'un à qui on peut faire confiance.
Le premier texte auquel vous allez être confrontés à l'Assemblée est celui sur le "paquet fiscal". Quelle va être votre attitude ?
Là, nous sommes en total désaccord avec le gouvernement. Notre opposition au bouclier fiscal, qui n'est rien d'autre qu'un allégement déguisé de l'ISF, est simple et claire. Sur le pouvoir d'achat, nous souhaiterions que le gouvernement s'engage à soutenir une négociation salariale globale. Sur la déduction des intérêts d'emprunt, nous sommes également en désaccord. Notre projet est prêt, il est crédible, comme sur beaucoup d'autres sujets, parce que nous avons travaillé avant. Il faut que cela se voie plus.
Le Parlement peut-il être le lieu d'une opposition efficace et visible ?
La crainte que j'ai, avec la nouvelle pratique institutionnelle du pouvoir, c'est que tout ce qui relève, effectivement, du Parlement se décide dans le cabinet du président de la République. On entre sans le dire dans une autre logique institutionnelle. Je crois que dans le rééquilibrage intervenu au second tour des législatives, il y avait à la fois la peur de l'écrasement politique et social et aussi la peur de la concentration des pouvoirs.
Qu'en est-il des rapports, à l'Assemblée, avec les autres formations de gauche ?
J'ai proposé que notre groupe s'ouvre et devienne le groupe "socialiste, radical, Verts", avec des responsabilités pour chacun et des moyens de travail correspondants. Ce serait un signe politique fort. Maintenant, la réponse leur appartient. Les communistes souhaitaient avoir leur groupe autonome, qu'on puisse identifier. J'ai aussi évoqué la possibilité d'un intergroupe de l'opposition. S'il y a une discussion sur le statut de l'opposition, je réclamerai qu'il puisse y avoir un intergroupe.
Vous êtes favorable à l'abaissement du seuil de constitution d'un groupe ?
Il faut faire très attention. C'est une solution qui peut apparaître séduisante à cour terme. Moi, je me situe dans une perspective politique de rassemblement de la gauche. Donc, régler le problème d'une façon, ce n'est pas forcément préparer l'avenir. Il y a quand même une chose qui me gêne sur cette question de l'abaissement du seuil. C'est que la décision ne se prenne pas à l'Assemblée mais à l'Elysée. Est-ce que c'est vraiment le rôle de l'exécutif et, qui plus est, du président de la République de décider de ça ?